interview ou comment mes parents sont morts...



ENG extract

(...)
TG: So I think we have reached the core of this interview, since I will ask you to tell
your story.

AG: The story could be how I became involved in art… It was 1997, I was about 20,
I went to see the Lyon Biennale – I am from Lyon –, I was following my parents who
absolutely wanted to see it. I wasn’t so much into art, but I followed them, along
with my brother. I actually lost my parents while watching the exhibition. One of
the work of art was a piece by Chris Burden, a flying steamroller, twirling onto
itself. At some point it unhooked itself, and my parents and brother died instantly,
crushed. I lost my parents because of art.

TG: And your brother?

AG: The three of them died. It was very difficult, so I had the idea to rent out
fictional parents. Then, I rented actors who got inspired by my parents and brother.
They had their hair cut, they wore the clothes of my family, I provided them with
familial archives, and they attempted to behave like the deceased. Eventually, they
became very close, as close as my lost family.

TG: And then?

AG: Then there was like a break, because in our house there were still images of
my deceased family, constantly around us, there was like a fracture between my
old and new family. So with the new family we decided to make our own archives,
took lots of pictures for birthdays and Christmas… it was just a recent past.
I discarded the old archives, I kept them but away and placed the new images, the
new archives around the house.

TG: And then?

AG: There was a problem, which might explain my interest for news items. This
story was over by the media once ; because I was monopolizing my new family
which was less and less a bunch of actors and more and more my real family. And
the relatives of these actors, who consequently had lost their family, wanted to
sue me. A lot of images were taken then. In the papers, one could see images of
myself, of my fictional family, my real family, all next to each other. It was a complex
mix of photographs, familial archives, fictional or not. There was no longer any
limit.

TG: What happened following the trial?

AG: My fictional family had to return to their relatives. I still see them but not
as much. From then on my life changed. Not only because I no longer had my
last family but also because the over exposure by the media lead me to art. The
circulation of these images in the papers, struck people from the art world who
came to see me and wanted to display all the images around this story, or my
life. There was an exhibition about it all with different types of archives. And
eventually, what I hated the most : art, which took my parents away from me, gave
me something else since now I use photography in my work.


FR extraits

(...)
TG : Alors je crois que nous sommes arrivés au coeur de l’entretien, puisque je vais vous
demander de nous raconter votre histoire.

AG : L’histoire pourrait être comment j’en suis venue à l’art… C’était en 1997, j’avais environ
20 ans, je suis allée voir la biennale de Lyon – je suis originaire de Lyon – avec mes parents,
qui voulaient absolument voir cette biennale. Moi je n’avais jamais trop aimé l’art, mais
je les ai accompagnés, avec mon frère. En fait, j’ai perdu mes parents au cours de cette
exposition. L’une des pièces présentées était une pièce de Chris Burden, un rouleau
compresseur volant qui tournoyait sur lui-même. À un moment, il s’est décroché et mes
parents et mon frère sont morts sur le coup, écrasés. J’ai perdu mes parents par l’art.

TG : Et votre frère ?

AG : Les trois sont décédés. Ça a été évidemment très dur. Il m’est donc venu l’idée de
louer des parents fictifs. À l’époque, j’ai loué des acteurs, qui se sont imprégnés du rôle
de mes parents et de mon frère. Ils se sont coupé les cheveux, ils ont porté les habits des
disparus, je les ai plongés dans les archives familiales et ils ont tenté de réagir comme les
disparus. Finalement, ils me sont devenus très proches, aussi proche que pouvait l’être ma
famille disparue.

TG : Et ensuite ?

AG : Ensuite, il y a eu comme une cassure, parce que, dans notre maison, il y avait encore
les images de ma famille passée disparue qui nous côtoyaient chaque jour, et il y avait
comme une fracture entre ma famille passée et ma famille présente. Nous avons donc
décidé, avec ma nouvelle famille, de recréer notre propre archive familiale, nous avons fait
des tas de photos, où l’on se photographiait pour les anniversaires, Noël, etc., simplement
c’était un passé récent. J’ai évacué les archives anciennes, je les ai conservées mais juste
évacuées. J’ai remis les nouvelles photos, les nouvelles archives dans la maison.

TG : Et ensuite ?

AG : Il y a eu un problème. De là découle peut-être mon attrait pour les faits divers. Cette
histoire a été surmédiatisée à un moment donné, parce que j’accaparais complètement ma
nouvelle famille, qui était de moins en moins des acteurs mais de plus en plus ma famille.
Et les proches de ces acteurs, qui avaient perdu leur famille pour le coup, m’ont intenté
un procès. Il y a eu des tas d’images qui ont été prises à ce moment-là. Dans la presse,
on pouvait voir des photos de moi, des photos de ma famille fictive, et de leur famille
réelle, qui côtoyait ma famille disparue. C’était un imbroglio de photographies, d’archives
familiales, fictives ou pas fictives, la limite n’existait plus.

TG : Et le procès a donné lieu à quoi ?

AG : Ma famille fictive a dû retourner dans sa famille d’origine. Je les vois toujours,
simplement je ne les côtoie plus vraiment. À partir de là, ma vie a basculé. Non
seulement parce que je n’avais plus cette famille-là non plus, mais aussi parce que cette
surmédiatisation m’a amenée à l’art finalement. Toutes ces images diffusées dans la presse
ont interpellé des gens du milieu de l’art, qui sont venus me voir et qui, à un moment
donné, ont voulu exposer toutes les images produites autour de cette histoire, ou de ma
vie. Il y a eu une exposition qui regroupait tous ces types d’archives, archives familiales et
journalistiques. Et finalement, ce que je détestais le plus : l’art, qui m’a enlevé mes parents,
m’a été révélé par la suite puisque je pratique moi-même la photographie aujourd’hui.